D’abord comédie musicale broadwaysienne à franc succès, Wicked devient en 2024, sous la réalisation de John M. Chu, un raz-de-marée. 112 millions de dollars de recette en seulement 10 jours, le processus de mutation amené par Barbie (2023) semble porter ses fruits.
Comme un nénuphar dans le poumon droit du spectateur.
Comme un nénuphar dans le poumon droit du spectateur, le rose et le vert s’épousent à en couper le souffle. Le rose se nomme Galinda, ainsi que ses costumes et les fleurs qui lui sont associés. Ariana Grande, chanteuse à succès, use de l’autodérision pour interpréter son propre cliché, celui d’une poupée Mattel, populaire et pimbêche. Le vert s’appelle Elphaba, sa pigmentation et la végétation qui lui est attachée, comme des racines qu’elle ne peut couper. Cynthia Erivo, une actrice britanno-nigérienne, joue cette femme stigmatisée par le teint de sa peau. Qu’elle soit verte dans le film ou noire dans le réel, cela importe peu, le racisme est le même.
Pour qu’un intermède musical fonctionne, il doit être vrai. En interprétant leur propre reflet, les actrices débordent de la diégèse : elles sont à la fois le rôle qu’elles incarnent à l’écran et l’artiste chantant réellement pendant le tournage. Tout est fait pour authentifier leur performance. Malgré un environnement en carton-pâte, les décors ont été construits, quitte à planter des milliers de tulipes, les coupes au montage se font plus rares, pour rendre impossible l’impression de trucage et les musiques ne sont plus préenregistrées, mais chantées à même la prise. Cela mène donc à des prouesses comme avec une chorégraphie dans une bibliothèque tournante ou avec la chanson Defying Gravity que Cynthia Erivo a chanté, suspendue dans le vide, sans la possibilité d’ouvrir son diaphragme grâce à des appuis dans le sol.
Un effet spécial correctement réalisé aurait pu avoir le même rendu, si ce n’est mieux en gommant par exemple les quelques imperfections du chant, mais il aurait été incapable de toucher le spectateur, de lui donner l’impression d’une captation de performance. Les défauts deviennent donc une qualité dans la promotion de ce film et la promotion du film participe à influencer l’expérience du spectateur.
Vers une tendance du cinéma hollywoodien.
Après la vague Barbie (2023), voilà l’écume Wicked ! « Si vous créez quelque chose qui est véritablement un événement pour les femmes, elles viendront. Barbie l’a prouvé à un niveau stratosphérique. Nous y avons trouvé de l’espoir : que nous puissions être une version de ce phénomène » se confessera le directeur marketing d’Universal auprès de Variety.
Hollywood et l’industrie cinématographique à gros budget essayent de changer de public. Substituer l’ancien qui semble avoir vieilli pour un nouveau, plus jeune, féminin, multiculturel, soucieux des questions d’inclusivité et politisé (partiellement). Cette nouvelle génération s’est éduquée elle-même aux images grâce à tiktok et ses sosies. Certes, son attention a déprécié. Mais grâce à cela, le genre, pourtant mort, de la comédie musicale a pu être réadapté.
Dans ces nouveaux films, le silence est absent et les propositions singulières fusent. Chaque tableau est dynamique et unique. Des chœurs au jeu de lumière, en passant par des figurants avec la tête à l’envers, etc., le public doit être absorbé, constamment, et ne surtout pas avoir le temps de réfléchir. La caméra devient même le premier danseur de ce music-hall. Elle virevolte sans pause pour tenir en haleine le spectateur, tout en ne dénaturant pas la performance.
Enfin, ce film avait une mission : réhabiliter la sorcière de l’Ouest du Magicien d’Oz de Victor Fleming (1939) et rompre avec le manichéisme (opposition entre le bien et le mal) de l’histoire originelle. Pourtant, en comparant Oz à Hitler grâce au remploi de la mythique scène du globe du Dictateur de Charlie Chaplin (1940), en comparant les animaux aux minorités persécutées et en comparant Elphaba aux résistants, le film retombe dans cette dichotomie. Il s’est contenté d’inverser les clichés, mais l’opposition reste entière. Bien sûr, on pourrait rétorquer qu’avec l’avènement des réseaux sociaux, l’attention est devenue courte, la nuance a été réduite, et cela a favorisé la polarisation d’idée. Mais quand le cinéma comprendra que ce dernier n’est qu’un cliché et que les jeunes sont capables d’avoir des discours modérés, les futurs blockbusters deviendront grands…… à moins qu’il ne le sache déjà.
R.T