photo mise en avant Mickey 17

Mickey 17, détourner la science pour exploiter les corps

Cinq ans après l’apothéose atteinte avec Parasite, couronné entre autres d’une Palme d’or et de quatre Oscars, Bong Joon-ho fait son grand retour à travers une production hollywoodienne portée par le vampirique Robert Pattinson. Avec Mickey 17, le réalisateur sud-coréen propose un voyage spatial cynique et glaçant, où la science permet la concrétisation d’un projet aux relents fascistes. 

Passer du drame familial local à la superproduction galactique de science-fiction ? C’est la folle trajectoire qu’opère Bong Joon-ho depuis le succès international de Parasite. Celui qui critiquait le modèle capitaliste américain le rejoint désormais, signant un contrat à plus de 120 millions de dollars avec la société de production Warner Bros Pictures pour ce film.

Mickey 17 nous plonge dans un futur dystopique. En 2054, Mickey Barnes – interprété par Robert Pattinson – embarque dans un voyage interstellaire proposé par une compagnie de colonisation spatiale. Leur but : fonder une civilisation prospère sur la planète de glace Niflheim. Cette mission est dirigée par Kenneth Marshall – interprété par Mark Ruffalo -, un tyran déchu qui détourne violemment l’éthique de la science dans une volonté égotiste de s’ériger comme glorieux despote sur cette nouvelle planète.

La science, moteur d’une déshumanisation cynique

Comment la technologie peut-elle être utilisée comme instrument dangereux pour l’homme et son identité ? Telle est la question que soulève Bong Joon-ho à l’aide d’un processus bien connu des films de science-fiction et d’espionnage : le clonage. Mickey est en effet un expendable, un « remplaçable » que l’on « réimprime » – autrement dit, un clone créé par imprimante 3D – à chaque fois qu’il meurt. Son esprit est stocké et sauvegardé régulièrement dans une carte mémoire géante que les scientifiques téléversent dans son nouveau corps à chaque réimpression. 

L'imprimante 3D clonant Mickey
L'imprimante 3D clonant Mickey

L’accès à l’immortalité grâce au clonage entraîne une conséquence tragique pour Mickey : celle de la perte de son identité et de sa liberté. Dupliqué à l’infini, ce qui fait sa singularité est balayé par ce « corps type », recréé à l’identique par l’imprimante 3D géante. L’homme perd de fait son libre arbitre et son individualité, devenant un être réplicable selon les besoins. Son destin n’est plus à construire, mais prédéfini par la manière dont les scientifiques vont l’exploiter.

La vision méliorative d’un transhumanisme repoussant constamment les limites de la science dans une démarche éthique est ainsi renversée. Mickey est utilisé tout au long du film comme véritable rat de laboratoire. Les scientifiques se servent de lui comme cobaye pour réparer le vaisseau, tester des vaccins, partir en mission sur la nouvelle planète, expérimenter la viabilité de son atmosphère… En acceptant ce système qui transforme l’homme en simple ressource, Mickey renonce peu à peu à son humanité. Il devient un objet expérimental, sacrifiable à tout moment par la volonté des scientifiques. 

Point historico-culturel : le transhumanisme

Exosquelettes, greffes d’organes ou implants de souvenirs, la volonté de transcender les limites humaines est un fantasme qui perdure depuis des siècles. Culturellement et épistémologiquement, cette tendance a donné naissance à un courant de    pensée : le transhumanisme. 

Défini par le biologiste britannique Julian Huxley, il accorde une pleine confiance à la science et à la technique pour améliorer la condition humaine en augmentant ses capacités physiques et mentales. Son objectif est de transcender les limites biologiques de l’homme, de ralentir le vieillissement et même de prolonger la vie grâce à la technologie sous toutes ses formes (robotique, génétique, intelligence artificielle, nanotechnologie…). 

Dès les années 50, le transhumanisme devient un thème central de la littérature de science-fiction, notamment avec le genre du cyberpunk. Se projeter dans un monde futuriste ou dystopique est vu comme une mine d’or pour de nombreux auteurs, ouvrant les possibilités imaginatives. Aujourd’hui, on retrouve ce courant de pensée dans tous les arts, utilisé pour montrer les progrès possibles grâce à la technologie ou au contraire, pour dénoncer les dangers engendrés par une utilisation déraisonnée de la science. 

Liste d’œuvres abordant la question transhumaniste en vrac : Les Robots (Isaac Asimov), Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (Philip K Dick), Ghost in the Shell (Masamune Shirow), la trilogie Matrix des sœurs Wachowskis, Réparer les vivants (Maylis de Kerangal), Black Mirror (Charlie Brooker)…

Bong Joon-ho s’inscrit donc dans une lignée d’artistes utilisant le transhumanisme comme menace mettant en danger l’humanité. On peut faire ici le parallèle avec Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro. Dans ce roman, on donne naissance à des clones humains thérapeutiques qui vivent dans l’unique perspective de faire don de leurs organes. Le parallèle avec le film semble être ici évident : la technologie comme réification de l’individu (fait de transformer une personne en objet). Le progrès du clonage conduit à l’exploitation de l’homme, que ce soit par le prélèvement d’organes des clones jusqu’à la mort dans Auprès de moi toujours, ou par la transformation de l’humain cloné en cobaye endurant toutes sortes d’expérimentations dans Mickey 17.

L’eugénisme au profit d’un projet fasciste

Autre dérive conservatrice que veut mettre en place Kenneth Marshall dans sa future colonie : le contrôle de la natalité. Dans la grande tradition des politiques totalitaires, pouvoir choisir le génotype parfait est devenu un véritable fantasme. Exit la diversité des corps et des identités, l’homme considéré comme parfait par le leader est érigé comme la normalité, entraînant un rejet et une exclusion du reste de la population. 

C’est lors d’une scène de banquet burlesque que l’on comprend cette déviation autoritaire. Kenneth Marshall expose sans détour sa volonté de contrôler l’avenir génétique de sa population, en interdisant la sexualité entre les membres du vaisseau, et en ne l’autorisant par la suite que pour ceux ayant sa vision du corps exemplaire. C’est dans cette optique qu’il propose une insémination à Kai, une agente de sécurité ayant selon lui l’ADN idéal, parfaite pour devenir le modèle génétique de la colonie. 

Scène du diner Mickey 17
Scène du dîner où Kenneth Marshall annonce à Kai ses volontés eugénistes

Cet exemple cinglant de contrôle de la sexualité rappelle les dérives historiques de l’eugénisme. Cette doctrine scientifique et idéologique développée à la fin du XIXème siècle est un autre modèle voulant l’amélioration de l’espèce humaine, en sélectionnant les individus d’une population en se basant sur leur bon patrimoine génétique et en écartant les moins bons. À l’image des humains créés en laboratoire dans Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1932) ou la fécondation in vitro d’enfants avec des facultés augmentées dans Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol (1997), Mickey 17 questionne l’éthique derrière les politiques eugénistes mis en place dans cette micro-société. Cette volonté de contrôle de la natalité et des humains présents dans le vaisseau rejoint le clonage en tant que logique d’asservissement, contribuant à la déshumanisation de l’individu. 

Caricature d’un fascisme débridé ou simple miroir de notre société, c’est à chacun de voir si cette aventure spatiale n’est qu’une œuvre fictive de science-fiction ou, au contraire, une dystopie avec un impact beaucoup plus profond sur la réalité (spoiler : il faut se diriger vers cette voie).  

Timoté Rivet

Crédits images : Instagram thefilmzone, thefilmists