Après une première projection l’hiver dernier, Le Petit Prince est de retour cet été aux Bassins des Lumières de Bordeaux pour une exposition immersive. Composé d’images animées projetées sur les murs de cette ancienne base sous-marine, ce voyage onirique retrace sous un nouvel angle le célèbre roman d’Antoine de Saint-Exupéry paru en 1943.
« S’il vous plaît… dessine moi un mouton ! » Sur les murs de l’ancienne base sous-marine de Bordeaux, un désert ocre se dessine sur 360°. Une tempête de sable se déchaîne sur un petit avion qui s’écrase sous les notes poignantes de “Requiem for a Prince”, extrait du film Athena, sorti en 2022. Le pilote de l’appareil surgit soudain de dos, silhouette découpée au sommet d’une dune. Peu à peu, les couleurs chaudes du désert laissent place à un bleu galactique, annonçant de manière presque proleptique le périple cosmique à venir. Le voyage peut commencer.
L’exposition, intitulée “Le Petit Prince, L’odyssée immersive”, propose une aventure synesthésique en déambulation libre. Un parcours sensoriel à travers quatre bassins de ce site historique réhabilité en centre artistique pour nous embarquer dans l’univers du Petit Prince. Un univers à la fois fantastique et régressif, avec son protagoniste aux cheveux blonds ébouriffés symbole de candeur et de sagesse, ses lieux surnaturels, ses personnages fantasmagoriques. Et l’enchantement y est total.



Un voyage magnétique
Durant plus de quarante minutes, les murs s’illuminent de dessins en aquarelle et de citations du texte de Saint-Exupéry retraçant l’histoire de l’ouvrage le plus traduit dans le monde après la Bible. Les images apparaissent, se superposent puis disparaissent pour former une toile éphémère. Une chorégraphie millimétrée. Un ballet d’une grâce éthérée. Se dévoile alors la capricieuse rose, ses pétales frémissant au rythme langoureux de “I only have eyes for you” des Flamingos, et le bienveillant renard dont le regard cherche une main amie.


Puis, apparaissent une ribambelle de personnages peuplant ces mystérieuses planètes et symbolisant les travers de la nature humaine : un roi tyrannique sur son trône assoiffé de pouvoir, un vaniteux cherchant obsessionnellement l’admiration des autres, un businessman comptant inlassablement ses étoiles comme autant de richesses, ou encore un allumeur de réverbères accomplissant mécaniquement sa tâche, reflet d’une obéissance aveugle aux ordres – même les plus absurdes. Cette odyssée est transcendée par la singularité de l’édifice, qui joue avec le reflet de l’eau en miroir pour y déployer cette scénographie unique.

Point culture : les Bassins des Lumières
Pour comprendre la portée historique et mémorielle de cette bâtisse, il faut revenir plus de quatre-vingts ans en arrière. Quelques jours après la signature de l’armistice du 22 juin 1940, Bordeaux tombe aux mains des nazis. Souhaitant étendre sa force de frappe sur l’Atlantique, le Troisième Reich décide de construire un U-Boot-Bunker, une base de sous-marins dont le chantier débute en septembre 1941. Plus de 6500 travailleurs – notamment des prisonniers républicains espagnols, français, belges ou hollandais – s’attèlent à bâtir cet édifice de 42000m². Inaugurée le 13 mai 1943, la base sert avant tout de poste de défense antiaérienne et d’abri stratégique, avant d’être abandonnée par les troupes allemandes le 26 août 1944 suite au repli des derniers sous-marins.
Après la Libération, le bâtiment devient une friche portuaire puis industrielle et militaire, associé à une page sombre de l’histoire de la ville. Le maire de l’époque et ancien résistant Jacques Chaban-Delmas refuse de valoriser un patrimoine issu de l’Occupation. Mais à partir des années 1960, l’ancien bunker attire de nombreux artistes. Impressionnés par l’architecture du lieu, ces derniers investissent ce vestige historique, à l’image de Jean Cayrol, tournant la dernière scène de Coup de grâce à la base sous-marine en 1964, ou Sarkis, peintre et sculpteur utilisant les bassins comme galerie d’exposition en 1980.
Cette vocation culturelle ne cesse de s’accroître à partir des années 1990. Le lieu se métamorphose en Conservatoire international de la Plaisance, puis en lieu d’exposition d’art contemporain. En 2018, les quatre premiers alvéoles de la base sont transformés en un centre d’art numérique. Après l’Atelier des Lumières de Paris et les Carrières des Lumières au pied de la cité des Baux-de-Provence, les Bassins des Lumières, inaugurés en avril 2020, proposent des expositions numériques immersives centrées sur un mouvement artistique, un lieu, une œuvre ou un artiste.
Entre ces murs de béton chargés d’histoire, l’extraordinaire récit de Saint-Exupéry prend une dimension nouvelle. Ses mots sont sublimés par les formes et les couleurs qui se succèdent sous nos yeux ébahis. Cette pérégrination hypnotique est accentuée par un travail méticuleux de la musique. Du très épique “Dans l’antre du roi de la montagne” de Edvard Grieg, au champêtre “Los Angeles” de TEED lors de la rencontre entre l’aviateur et le petit prince, sans oublier le très rock “All along the watchtower” version Jimi Hendrix ; les morceaux accroissent l’immersion, intensifient la tension ou l’émotion. “Le Petit Prince, l’odyssée immersive”, se vit ainsi comme un voyage hors du monde, à découvrir en nocturne aux Bassins des Lumières de Bordeaux jusqu’au 27 août 2025.

Timoté Rivet
Crédit photos : Timoté Rivet