“ – Quel saint irlandais est fêté le 17 mars? – Atchoum”, “ – Durant l’Antiquité, quelle langue les Romains imposèrent-ils dans tout leur empire? – L’anglais”, ou encore “ – Comment appelle-t-on les habitants de la ville d’Antibes? – Les Cannois”, des réponses cocasses à des questions de culture générale que vous pouviez entendre, il y a 23 ans, si vous allumiez votre télévision pour regarder Le Maillon faible.
L’émission présentée par Laurence Boccolini sur TF1 s’est rapidement imposée dans le paysage audiovisuel français comme l’une des plus emblématiques avec son animatrice charismatique et son aspect stratégique, divertissant et humiliant. Après un retour en grande pompe mercredi 16 octobre pour une émission inédite sur M6, retour nostalgique sur le succès d’une émission avec laquelle vous avez peut-être grandi si vous êtes au crépuscule de la vingtaine.
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Une émission qui s’impose dès son lancement
Forte du succès des jeux télévisés qu’elle a lancés lors des années 1990 comme Le Juste Prix, Une famille en or ou encore Le Bigdil, TF1 décide à l’aube des années 2000, d’accentuer son offre d’émissions de divertissement. En plus de Qui veut gagner des millions? et d’ Attention à la marche! créées respectivement en 2000 et 2001, la chaîne appartenant au groupe Bouygues étoffe son catalogue en lançant la même année Le Maillon faible, qui se démarque immédiatement de ses consœurs.
Présentée par Laurence Boccolini, l’émission est introduite à la télévision le 9 juillet 2001, et dès les premiers numéros, l’engouement est au rendez-vous. Chaque soir, ce nouveau jeu de culture générale atteint des pics d’audience à plus de 6 millions de téléspectateurs, ce qu’elle arrive à conserver pendant plusieurs années. Les émissions exceptionnelles en prime-time avec des célébrités arrivent même à réunir plus de 7 millions de téléspectateurs, un excellent score pour un jeu TV.
Pourtant, le concept de l’émission est simple. Neuf candidats s’affrontent dans un questionnaire de culture générale sous forme d’une chaîne collective. Durant chaque manche, les candidats répondent à tour de rôle à une question pour augmenter la cagnotte globale. Mais si l’un d’entre eux commet une erreur, la cagnotte revient à zéro, faisant perdre l’argent gagné durant la manche. Toutefois, ils peuvent sécuriser ce que les candidats précédents ont récolté en déclamant “banque”, ajoutant le gain amassé correspondant dans la cagnotte définitive. A la fin de chaque tour, les joueurs votent pour éliminer celui qu’ils considèrent être “le maillon faible”, le moins bon candidat encore en jeu selon eux. Et c’est cet aspect compétitif et stratégique qui va installer l’émission comme rendez-vous hebdomadaire pour des millions de Français.
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De la stratégie et de l’humiliation
Adaptée de l’émission britannique The Weakest Link, la version française se démarque par l’importation de cette mécanique de jeu peu présente dans les émissions françaises de l’époque, mais dont raffolent les spectateurs. À une époque où la téléréalité est en plein essor avec le phénomène du Loft Story, émission qui ouvre la voie à la mouvance des programmes mêlant interactions humaines et stratagèmes, Le Maillon faible révolutionne le concept des jeux télévisés en mêlant quiz de culture générale et tactique psychologique. Les candidats n’hésitent plus à user de tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre hors d’état de nuire leurs compétiteurs.
À l’inverse des émissions telles que Pyramide, Motus ou encore Fort Boyard, qui utilisent l’intelligence et l’humour léger comme source de divertissement, Le Maillon faible se sert de la stratégie et de la cruauté pour créer du rire. Les candidats sont humiliés tout au long de l’émission, notamment par l’animatrice elle-même, qui les recadre sévèrement entre chaque manche pour leur comportement ou pour les réponses idiotes qu’ils ont pu dire.
L’animatrice devient ainsi un point central de l’émission, jouant un personnage à part entière. Bien loin des animateurs joyeux, souriants et chaleureux, Laurence Boccolini marque les esprits par son ton froid et austère, dans une ambiance qui l’est tout autant. Son agressivité envers les joueurs, adoptant une posture de « maîtresse d’école sévère » qui s’adresse aux candidats de manière sèche et sarcastique, ne fait qu’accentuer ce personnage dramatique, presque théâtral.
L’émission a un impact important sur la culture populaire française. La célèbre réplique prononcée par Laurence Boccolini lors de chaque élimination, « Vous êtes le maillon faible, au revoir ! » est devenu un meme, repris dans de nombreux sketchs et connu désormais de tous (ou presque). La dimension stratégique et psychologique introduite par l’émission est également reprise dans de nombreuses émissions TV postérieures comme Pékin Express ou Koh Lanta, qui placent les éliminations et les alliances au centre du concept de leur jeu.
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Déclin et double come-back
Cependant, dès 2006, le format s’essouffle par un manque de renouveau, et une concurrence de plus en plus accrue. Les audiences chutent et, en 2007, TF1 décide d’arrêter l’émission après six années de diffusion. Sept ans plus tard, C8, décide de relancer le jeu avec Julien Courbet aux commandes. Mais ce dernier adopte un ton trop lisse et trop sage, qui déplaît fortement aux fans de la première heure. Bien loin du regain d’intérêt espéré et dans l’indifférence la plus générale, l’émission est une nouvelle fois arrêtée après 33 émissions.
Mais M6 décide, 23 ans après le premier numéro, de déterrer ce jeu culte pour 2 numéros inédits. Et c’est l’humoriste Vincent Dedienne, qui reprend les rênes du programme le temps d’une soirée. Des célébrités se sont affrontées au profit de l’institut Women Safe & Children. Et dès les premières secondes, l’aspect nostalgique était au rendez-vous avec un plateau identique à la première version, des répliques sensationnelles des candidats vouant au rire, et un animateur aux remarques froides et cinglantes. Cette portée mimétique avec Laurence Boccolini semble tout à fait voulue, comme il l’a fait remarquer lors d’une interview : « C’est délicieux de ne pas bien traiter des gens connus à la télé où règne une sorte d’hypocrisie générale ».
Ayant rassemblé près de 3 millions de téléspectateurs, la soirée a ravi les fans de la première heure, qui ont apprécié le retour aux sources du show. Cependant, l’aspect presque clownesque de l’émission, avec les blagues constantes des célébrités, a fait grincer les dents de ceux qui voulaient voir une effusion de culture générale.
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Timoté Rivet
Crédit image: X M6officiel