Batterie faible (2016), Ipséité (2017), Lithopédion (2018), QALF (2020), QALF Infinity (2021), QALF LIVE (2023) et VIEUX SONS (2024). Ce sont les cinq albums et deux rééditions du rappeur Damso qui précédent J’AI MENTI sorti le 15 novembre 2024. Cinq albums qui ne donnent pas d’avant-goût au tout nouveau, innovant et surprenant.
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Après un enchaînement de sorties d’albums et de rééditions qui ont laissé ses auditeurs à satiété de 2016 à 2023, Damso décide de prendre une pause pour composer pour lui-même, en camping-car, son rêve depuis 2020. En juillet 2024, le rappeur affirme qu’il a terminé sa « thérapie musicale », en s’éloignant du monde et des réseaux pour atteindre son apogée avec un dernier album. Mais en Août, il revient sur sa décision en annonçant à ses fans la sortie de J’AI MENTI comme prélude à Bēyāh qui sortira le 30 mai 2025.
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Les featurings, de Angèle à Kalash Criminel
Vendredi 15 novembre. Sortie de J’AI MENTI.
Onze chansons, 34 minutes d’écoute. De « CHROME » à « DAMSAUTISTE », Damso explore les genres et les featurings, de Kalash Criminel à Angèle en passant par son grand frère Michkavie qui l’a initié à la musique. Chaque featuring rappelle un morceau de son passé si varié.
Kalash Criminel. Sur « Limbisa ngai » (« Pardonne-moi » en français), le duo explore un afrobeat qui honore leurs origines congolaises et qui rappelle la rythmique d’un ancien titre : « Mobali » (de Siboy en featuring avec Benash et Damso). Commencé seul, « Limbisa ngai » invite finalement Kalash Criminel dont le « timbre de voix, la dynamique vocale » matchaient avec le projet selon Damso. Mais ce titre fait controverse. Quelle simplicité d’afrobeat… Si Damso revendique cet album comme introspectif et poussé, pourquoi ne pas rendre compte du « niveau atteint musicalement » lors de sa « thérapie » ? Pourquoi ne pas pousser davantage l’écriture avec Kalash Criminel ? Ils chantent « J’aime l’argent, le respect et la RDC », il titre en Lingala mais pas de suite logique dans des paroles décousues qui ne reparleront pas une seule fois de la République Démocratique du Congo…
Angèle. Damso la fait entrer dans le monde de la musique en 2017 et feat avec elle sur « Silence » (dans Lithopédion), « Démons » (dans l’album Nonante-Cinq) puis « Tout tenter » où le rappeur semble s’adonner complètement au style de de chanteuse belge. Ce dernier titre propose un style davantage pop que l’univers rap sombre que Damso a prit tant de soin à former depuis ses débuts. Il laisse largement sa place à Angèle qui introduit et conclut la chanson sur le même schéma que « Démons ». Les chansons démarrent avec des mélodies Angèlesques qui changent du tout au tout pour un couplet de moins d’une minute du rappeur. Damso, encore une fois, rend hommage à celle qu’il admire et qui l’admire avec ce featuring qui brave les attentes et les codes car « il n’y a pas de codes nous sommes dans l’infini ».
Michkavie et Kalash. Un grand frère qui l’a aidé à se lancer dans le rap et qui l’inspire aujourd’hui pour le son « Mony », et « Alpha » avec un rappeur avec qui il avait collaboré plusieurs fois, notamment sur « Malpolis » et « Mwaka Moon ». Ces deux sons n’offrent pas grand chose de nouveau, si ce n’est quatre notes en boucle pour « Mony » et un béat assez rythmé pour « Alpha ». Damso sort enfin son frère de l’ombre pour lui donner une place dans un morceau qui ne crève pas l’écran…
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La plume rétrospective de Damso
D’autres sons à une seule voix se font une place dans l’album. On retrouve enfin une unité dans un album qui était pour le moment si ponctué de variations. Entre afrobeat dans « Limbisa ngai » et rétro-futurisme à la Laylow dans « 24h plus tôt », Damso revient sur ses pas avec « Laisse-moi tranquille », « Schéma », « Conséquences » et « La rue est morte ». Quatre sons qui plaisent aux fans, qui s’attendaient davantage à un album dans la continuité de ce qu’il a toujours fait et qui sont ici servis. Damso propose du calme et conscient, à la manière de ses albums Batterie faible et QALF infinity. Il mêle prouesses vocales et instrumentales.
L’introduction au piano de « Schéma » rappelle évidemment celle de « Y. 2 DIAMANTS » et le final au saxophone de « Σ. MOROSE » dans QALF infinity.
« Conséquences » et « Laisse-moi tranquille », elles, se rejoignent sur une montée en crescendo de mélodies jamais vues chez Damso qui donnent la chair de poule aux premières écoutes.
Dans « La rue est morte », Damso superpose deux versions de sa voix aux différents tempos. Superposition qui donne une réelle profondeur à une musique qui serait si simple sans ce renouvellement. Après 10 années de musique, Damso sait encore se réinventer.
« ça se relâche un peu […], ça se re-questionne sur les relations, en parlant d’infidélités, comme avec “Schéma” où je remarque que je suis enfermé dans les mêmes boucles. Puis on arrive sur “Conséquences” où je me rends compte des répercussions de toutes ces choses-là que je ne maîtrise pas. Puis je pars dans une folie dans “24h plus tôt” et je reviens sur “La rue est morte.” en réalisant que c’est par la famille et le foyer que je peux trouver la clef. Que c’est peut-être là où je pourrais être enfin moi-même. Pour terminer, dans “DAMSAUTISTE”, j’accepte que je peux être moi-même. C’est ça qui permet d’accéder à une forme de paix durable. Ça ne veut pas dire que ça ne va jamais trembler, mais quand ça tremble, maintenant je sais quoi faire. »
Interview de Damso dans Vogue, 19 novembre 2024.
Une liberté artistique revendiquée
Si Damso se permet des écarts, c’est parce qu’il a atteint, aujourd’hui, une liberté qu’il n’abandonnerai pour rien au monde. Depuis 2016, il s’est construit un univers artistique propre à lui-même qui avait l’air de plaire jusqu’à J’AI MENTI, qui divise. La diversité des sons et la liberté de simplicité ne plaît pas à tout le monde. Certains jugent un beat switch « insipide » dans « CHROME », « quelques secondes de flûte horriblement mixés » dans « Laisse-moi tranquille » ou des paroles sans confessions et sans identité. Parce que c’est pendant sa thérapie musicale qu’il a compris qu’il est le seul maître de son art. « C’est sûrement pour ça que dans mes albums, il peut y avoir un son qui rentre dans les tendances et d’autres qui n’ont rien à voir, parce que je serais allé ailleurs », a-t-il affirmé dans les Inrockuptibles le 21 novembre 2024. Quand il a annoncé sur Instagram que son album était sorti, il a écrit à ses fans « Prenez le temps de l’aimer, de le détester, il est à vous ! ».
Zélie Bleton-Pascal
Crédit image : Instagram @thedamso