Questions pour un champion

Fin de Questions pour un champion : le symptôme d’un service public en crise

Le 28 juin dernier, France Télévisions a annoncé, à la surprise générale, l’arrêt en semaine de l’émission culte Questions pour un champion à partir de la rentrée prochaine. Une décision révélatrice des turbulences que traverse l’audiovisuel public, entre polémiques qui se succèdent, crise budgétaire, et une réforme portée par la ministre de la Culture dangereuse pour sa pérennité.  

Fini les neuf points gagnants, les quatre à la suite et les face-à-face. Dès septembre 2025, le célèbre jeu de culture générale Questions pour un champion disparaît des écrans en semaine. L’émission, présentée par Samuel Etienne et diffusée quotidiennement à 18h10 sur France 3, ne restera à l’antenne que le samedi et le dimanche comme l’a révélé le journaliste Thomas Isle ce 28 juin, avant que l’information ne soit confirmée par Stéphane Sitbon-Gomez, le directeur des antennes et des programmes de France Télévisions. Un coup dur pour cet emblème de la télévision française lancé par Julien Lepers en 1988. 

Sur les réseaux sociaux, il n’a pas fallu attendre longtemps avant que les protestations fusent de toutes parts. Certains internautes prophétisent déjà la mort de l’émission, établissant un parallèle avec le destin tragique de Des chiffres et des lettres. En 2022, le jeu avait subi le même sort, relégué à une diffusion bihebdomadaire avant de disparaître totalement deux ans plus tard. D’autres expriment leur colère, souvent avec ironie : “Moins de diffusion d’un jeu qui fait travailler la mémoire et la culture et financer le retour d’ “Intervilles”  ? Bien joué le service public”. Il est vrai que l’on peut s’interroger sur la pertinence de sacrifier ce jeu à petit budget – dont les lots se résument à des encyclopédies d’ornithologie et des valises -, quand le retour d’Intervilles a coûté 800 000€ par épisode (pour un résultat plus que médiocre). 

Une décision “lourde et culturellement regrettable”

Face à cette annonce surprise, les fans du jeu se sont rapidement mobilisés. Une pétition a par exemple été lancée pour demander “la restauration de la diffusion quotidienne” de l’émission. Recueillant plus de 47 000 signatures en une semaine, cette dernière alerte sur l’état de l’audiovisuel public, qui “ne doit pas céder à la logique du divertissement bas de gamme ou à la rentabilité immédiate. Il doit continuer à instruire, à élever et à rassembler.”

La polémique est même arrivée jusqu’aux bancs de l’Assemblée Nationale. Le 2 juillet dernier, vingt-deux députés ont écrit une lettre à la présidente de France Télévisions Delphine Ernotte pour faire part de leur mécontentement face à une décision qu’ils jugent “symboliquement lourde et culturellement regrettable”, avant de souligner l’importance du programme depuis plus de quarante-cinq ans : “Au-delà d’un simple programme télévisé, Questions pour un champion est une institution populaire, culturelle et intergénérationnelle qui fait pleinement partie du patrimoine audiovisuel français.” 

Mais alors, pourquoi supprimer une émission si populaire ? “Spoiler : il n’y a aucune raison valable”, titre avec sarcasme Samuel Etienne dans un live Twitch réalisé au lendemain de l’annonce. Celui qui est aux commandes de Questions pour un champion depuis 2016 rappelle dans un tweet publié le même jour que les audiences du programme sont satisfaisantes, ne pouvant expliquer son arrêt brutal : “Si le jeu est menacé, on ne pourra pas utiliser l’argument des audiences.” Pourtant, l’émission, bien que suivie par un important noyau de fans, enregistre une baisse d’audimat de 300 000 personnes et de 1.2 point de marché sur un an, se stabilisant autour des 1.2 million de téléspectateurs en moyenne depuis le début de l’année.

Un navire à la dérive

Les contraintes économiques ont, elles aussi, pesé dans la balance. Pour Stéphane Sitbon-Gomez, “ce choix s’inscrit dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, qui nous oblige à repenser nos équilibres de grille”. Depuis la suppression de la redevance télévisuelle en août 2022, France Télévisions traverse en effet une crise financière qui ne cesse de s’aggraver. Pour la première fois depuis neuf ans, le budget du groupe est en déficit à hauteur de 41.2 millions d’euros. Un chiffre qui devrait atteindre les 50 millions d’ici la fin 2025 selon Delphine Ernotte. Cette crise est accentuée par une baisse considérable de la dotation publique de l’Etat, passée de 3.8 milliards d’euros en 2022 à 2.6 milliards aujourd’hui. En conséquence, la direction prévoit 15 millions d’euros d’économies pour 2025, de réduire les dépenses des émissions de sport et de divertissement de 5%, et de sacrifier des programmes comme C médiatique et Questions pour un champion.

En interne, France Télévisions fait également face à des polémiques qui se succèdent ces dernières semaines, entre l’éviction brutale de Laurence Boccolini de l’émission Les enfants de la télé ou le départ inattendu d’Olivier Minne pour M6, frustré de ne pas se sentir reconnu à sa juste valeur. Sans oublier une épée de Damoclès qui menace le groupe depuis quelques années : la réforme de l’audiovisuel public. Le projet de loi, porté par la ministre de la Culture Rachida Dati, est source de vives tensions. Certains voient même cette refonte du service public tel l’iceberg qui va couler ce paquebot trentenaire. Il prévoit notamment la création d’une holding intitulée “France Médias”, regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA, et dont l’État serait actionnaire à 100%. 

Une volonté : copier la BBC

Celle qui veut transformer le chien de Gabriel Attal en kebab martèle sur tous les plateaux télé son rêve gaullien de créer une “BBC à la française”, souhaitant copier le merveilleux modèle outre-Manche qui regroupe 15 chaînes de télévisions, 56 de radios, médias en ligne et la BBC World Service, un important service international. L’objectif de la ministre : “rendre l’audiovisuel public plus fort” face à l’épaisse tempête qu’elle traverse.

Pourtant, à chaque prise de parole dans laquelle elle brandit l’exemple de la BBC comme la société audiovisuelle parfaite, elle oublie de rappeler que l’empire britannique vit lui aussi une période d’austérité. Son budget a été réduit de 30 % entre 2010 et 2020, et plus de 1800 postes ont été supprimés en avril 2024. « Ce type de réforme est une mise en danger de l’indépendance éditoriale, du pluralisme et de la liberté de l’information » avertissent les syndicats. Ces derniers redoutent que cet holding entraîne une baisse de moyens, une suppression d’emplois et, à terme, une fusion qui centraliserait dangereusement les médias publics en un seul groupe dirigé par une seule personne. 

Dans une tribune publiée par Ouest-France en février dernier, l’intersyndicale de l’audiovisuel public interpelle sur les dangers de cette centralisation : « N’oublions pas non plus les risques de pressions, politiques ou économiques, qui pourraient s’exercer sur la présidence d’une holding qui regrouperait tout l’audiovisuel public. Voulons-nous vraiment concentrer tant de pouvoirs entre les mains d’une seule personne ? » Bref, un sombre retour vers l’ORTF en perspective si la réforme se voit être adoptée. 

Timoté Rivet 

Crédit photo : Instagram France 3