Quatrième spectacle le plus joué à Broadway derrière The Phantom of the Opera, Chicago et The Lion King, Wicked se voit être adapté au cinéma avec Ariana Grande et Cynthia Erivo dans le rôle des dichotomiques sorcières Glinda et Elphaba. Si vous découvrez ce monde féérique avec le film de Jon M. Chu, sachez qu’outre-Atlantique Le Magicien d’Oz et Wicked sont de véritables phénomènes populaires. L’univers créé en 1900 avec le conte The Wonderful Wizard of Oz a été adapté au cinéma en 1939, puis transformé en 2003 sous la forme d’une comédie musicale à succès à Broadway.
Préquel en diptyque dont la seconde partie est prévue pour le 26 novembre 2025, Wicked – Partie Une s’impose dans le paysage cinématographique comme une friandise pétillante et colorée. Un mélange sucré qui a grandement polarisé l’opinion publique, certains ayant visiblement oublié les caractéristiques ayant fait le succès de cet univers pittoresque.
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Un retour aux comédies musicales traditionnelles
La comédie musicale connaît un retour en force au cinéma depuis quelques années. Devenue obsolète pour de nombreux cinéastes, la dernière vague de musicals a voulu se détacher de ses caractéristiques conventionnelles. Dans une ère où elle est associée aux biopics musicaux (Rocket Man, Bohemian Rapsody), à une revisite des comédies musicales ancestrales de Broadway (La Couleur pourpre, West Side Story version Spielberg) ou à une volonté de révolutionner ce genre cinématographique (Emilia Pérez, Joker 2), Wicked prend le parti pris inverse. Celui de mélanger les ingrédients ayant fait la popularité des comédies musicales dans les années 30 pour un résultat plus que réussi.
Dès sa scène d’introduction, le long métrage de Jon M. Chu fait comprendre ce retour triomphal aux origines du genre. Wicked s’ouvre sur un long plan-séquence suivant directement la fin du Magicien d’Oz de 1939. La sorcière Elphaba vient de mourir dissoute, et Oz est libéré de son antagoniste maléfique. Tout le royaume festoie alors autour d’une scène musicale épique. Ariana Grande apparaît tout en volupté dans sa robe rose pastel scintillante et élève par sa voix cristalline le chant à une dimension symphonique, tout cela mêlé à une chorégraphie d’ensemble dynamique.
Un véritable spectacle de près de 3 heures qui rappelle les plus grandes comédies musicales par son travail méticuleux de l’artistique et de la technique. Certains décors ont été recréés à taille réelle pour éviter l’utilisation de fonds verts, nécessitant par exemple à l’équipe technique de planter des milliers de tulipes. Plus de 150 personnes ont travaillé pour les costumes du film sous la direction du costumier oscarisé Paul Tazewell. Un travail titanesque évoqué par ce dernier, notamment quand il a dû recréer la célèbre robe à bulles de Glinda. Des robes somptueuses pouvant même être comparées à celles que l’on retrouvait il y a plus de 60 ans dans les œuvres de Jacques Demy.
“On a passé des heures à jouer avec les couches de tissus transparents pour obtenir le rendu que l’on cherchait, avec cette iridescence et ses boucles qui se forment dans la jupe, afin de produire un effet magique. Beaucoup de mains ont été mises à contribution pour créer cette robe”
Paul Tazewell pour le magazine Vogue
Une nostalgie visible également par les diverses références à l’œuvre de 1939 disséminées tout au long du film. Ainsi, les plus grands fans de l’univers d’Oz auront sûrement remarqué la présence de Dorothée et de ses compagnons marchant sur les briques jaunes dès les premières secondes du film, ou encore l’apparition des chaussures rouges que porte Judy Garland dans le film de Victor Fleming lors de la chanson “Popular”.
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Une Ariana Grande “stupéfiante de maigreur”?
Mais face à cette ambiance bubblegum old-school, la critique n’a pas été tendre avec Glinda et Elphaba. Oubliant les inspirations du film et ne cherchant souvent pas à comprendre ses partis pris, beaucoup ont dénoncé son esthétique, la qualifiant de “kitsch” “d’hypercoloré à l’extrême” ou même de “hideux”.
Une surabondance de passages musicaux a aussi été critiquée, alors que le film se place dans la moyenne concernant le rapport entre scènes dialoguées et chantées. Les chansons représentent en effet un peu moins de 30% de la durée totale du long métrage, soit 1 heure de délectation musicale. À titre de comparaison, les musiques de la version de 1961 de West Side Story représentent près de la moitié du film, tandis que la proportion musicale de La La Land est d’environ 35% de la durée totale du long métrage, comportant 45 minutes de chansons sur 128 minutes de film.
Mais ce n’est pas tout, puisque Ariana Grande a subi une vague de harcèlement dans les médias et sur les réseaux sociaux, où son physique a été qualifié de “vraiment problématique”, ou a été désigné comme “stupéfiante de maigreur” dans un article du Parisien. De nombreuses critiques qui ont énervé la principale intéressée, affirmant dans une interview promotionnelle qu’elle se sentait comme “un spécimen dans une boîte de pétri” depuis qu’elle avait 16 ou 17 ans.
“Je pense que dans la société d’aujourd’hui, il y a une aisance que nous ne devrions pas avoir à commenter l’apparence des autres. Qu’il s’agisse de ce que vous portez, de votre corps, de votre visage ou de tout autre chose, les gens se sentent à l’aise pour faire des commentaires à ce sujet, et je pense que c’est vraiment dangereux.”
Cynthia Erivo, interview dans Vogue
Ce n’est pas la première fois que l’interprète de Break Free est victime de body shaming. En 2023 déjà, elle avait pris la parole dans une vidéo pour Vogue où elle dénonçait les commentaires dégradants concernant son changement d’apparence physique, et parlait avec émoi de son rapport avec les injections et le botox, qu’elle a arrêté d’utiliser en 2018. Dans une société où le vieillissement est synonyme d’obsolescence, notamment au cinéma (sujet tout récemment abordé dans le très bon The Substance de Coralie Fargeat), il serait temps de laisser tous les types de corps, de toutes les formes et de toutes les couleurs en paix.
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Timoté Rivet
Crédit image: instagram wickedmovie